Hélène Baril
La Presse
Jamais vu une foule aussi joyeuse attendre son tour pour aller en prison. Il faut dire que ce n'est pas n'importe quelle prison. C'est Alcatraz, l'établissement pénitencier le plus célèbre des États-Unis pour avoir hébergé pendant 29 ans les criminels les plus dangereux du pays.Fermée depuis 1969, Alcatraz reçoit maintenant chaque année plus d'un million de visiteurs qui paient pour vivre la vie de ces prisonniers, au moins pendant quelques heures.
13 h 30 : La croisière s'amuse
Après avoir fait la queue pour acheter nos billets, on embarque à bord du Respect, le traversier qui nous amène à Alcatraz. Comme tous les visiteurs qui mettent les pieds à San Francisco pour la première fois, nous sommes fascinés par cette île située à seulement 2 km des côtes et qu'on aperçoit d'un peu partout en marchant dans la ville. Le moment est enfin arrivé d'y aller et le bateau qui quitte lentement le quai nous offre une première vue panoramique de la ville. C'est magnifique! Le soleil brille, la brise est tiède et pour le moment, nous sommes un groupe de touristes en croisière, bien heureux de notre sort.
Mais nous avons été prévenus dès le départ: il n'y a rien à manger ni à boire dans l'île, et la visite est exigeante physiquement. Vite, on se ravitaille au comptoir du traversier qui offre le fast-food habituel mais aussi des fruits, des barres énergétiques et des smoothies, tout ce qu'il y a de plus bio. Évidemment, on est en Californie. Mais la prochaine fois, on prévoit un pique-nique.
14 h : Indians Welcome
Aussitôt débarqués, nous sommes accueillis par un ranger du Service des parcs nationaux. La première chose qui frappe, c'est le message derrière lui. «Indians Welcome» et «United Indians Property», peut-on lire sur le mur du bâtiment.
Ça nous rappelle que des autochtones regroupés au sein du Mouvement des Indiens américains ont occupé l'île pendant deux ans, après la fermeture de la prison, pour revendiquer leurs droits sur les terres de leurs ancêtres. Leur action a reçu des appuis de partout, et le mouvement a pris des proportions alarmantes pour les autorités, qui ont expulsé les occupants en 1971 et décidé de transformer l'île en parc national.
15 h 30 : Vivre en prison
Le roc, comme on a surnommé Alcatraz, porte bien son nom. Il n'y avait ni terre ni eau dans l'île à l'origine. Un fort a d'abord été installé sur le rocher pour défendre la ville de San Francisco contre d'éventuels envahisseurs. Il est devenu une prison militaire en 1907. Avec un guide, on peut faire le tour des installations extérieures et voir un film de 17 minutes sur l'histoire de l'île avant d'entrer dans le bloc cellulaire.
Le prix d'entrée inclut un audio-guide super bien fait, avec bruits de fond très réalistes, dans lequel d'anciens détenus et d'anciens gardiens nous parlent des années qu'ils ont passées à Alcatraz. Tous les épisodes importants de l'histoire d'Alcatraz sont expliqués et commentés à l'endroit où ils ont eu lieu. On nous explique en détails comment Frank Morris et deux autres prisonniers ont réussi à s'évader en creusant le mur du fond de leur cellule - à la cuillère - et en escaladant les conduites d'eau pour s'enfuir par le toit. C'était en 1962. Cet événement, qui a fait l'objet du film L'évadé d'Alcatraz, avec Clint Eastwood, nous fascine encore.
L'émotion nous gagne aussi en parcourant les «rues» du bloc cellulaire, ses quartiers - les Noirs et les Indiens n'étaient pas mélangés aux détenus blancs - et les pièces communes. Dans la salle à manger, l'endroit le plus dangereux de la prison parce que les détenus armés de couteaux et de fourchettes y étaient réunis tous les jours, le menu du jour de la fermeture, le 21 mars 1963, est encore affiché.
16 h : Du vrai et du faux
Tout le monde connaît un peu Alcatraz, ne serait-ce que par le cinéma. Mais visiter la prison remet en question certaines de nos convictions. En sortant du bloc cellulaire pour admirer la vue de San Francisco, on peut replacer les choses dans leur contexte.
C'était impossible de s'évader d'Alcatraz, nous a-t-on dit. En fait, il y a eu 14 tentatives d'évasion pendant les 29 années au cours desquelles l'île a hébergé des prisonniers de droit commun. La plupart ont échoué, mais on n'a jamais retrouvé la trace de cinq évadés, qu'on croit s'être noyés, mais qui pourraient tout aussi bien faire la belle vie en Amérique du Sud.
Et les conditions de détention n'étaient pas aussi dures que le cinéma nous l'a fait croire. Les prisonniers étaient nourris convenablement et profitaient de douches chaudes (pour ne pas qu'ils s'habituent à l'eau froide et puissent survivre à une évasion à la nage). Ceux dont le comportement était exemplaire avaient droit à des visites, à la bibliothèque et même à la radio, dans les dernières années.
L'histoire du prisonnier Robert Stroud, personnifié au grand écran par Burt Lancaster dans The Birdman of Alcatraz, a aussi deux versions. Le film nous montre un prisonnier plutôt sympathique qui a utilisé son temps en prison pour connaître et soigner les oiseaux, mais il n'a en réalité jamais vu d'oiseaux à Alcatraz, où les gardiens le considéraient même comme un dangereux psychopathe.
17 h 30 : Retour à la liberté
Après le passage obligé à la boutique de souvenirs, où on peut acheter de tout et même un morceau de rocher à 13,95 $ (c'est pour une bonne cause, l'argent sert à la restauration du site), on est content de ne pas devoir rester dans une de ces minuscules cellules (1,5 X 3 mètres). On reprend la mer. Avec un peu de chance, on voit le soleil plonger dans le Pacifique et donner à la ville qui se rapproche le plus bel éclairage de la journée. Pendant la traversée, trop courte, on se surprend à repenser aux cinq évadés qui n'ont jamais été retrouvés. S'ils sont encore vivants, ils doivent bien rigoler.
Visiter AlcatrazLe traversier prend du service à 9 h tous les jours et fait la navette toutes les 30 minutes entre le quai 33 et l'île, jusqu'à 16 h 30 en hiver et 18 h 30 en été. Une excursion de soirée est aussi proposée. Il y a moins de monde et la vue de la ville illuminée est attrayante; mais certains endroits de l'île d'Alcatraz ne sont pas accessibles le soir.
Source la Presse
Pascal